Nadège Dauvergne

Textes

    

Du Bain turc à la VAD :
Nadège Dauvergne ou l'art de détourner le consumérisme


Qui ne se remémore pas la "laitière" de Vermeer surgissant dans une publicité pour une marque de yaourt. La Cène mise en scène par différents sponsors tardifs. Mondrian le "valant bien" au recto d'un gel pour les cheveux. Et avant cela, Andy Warhol détournant la fameuse boîte de soupe de la marque Campbell. Traiter "l'art et la consommation" surexpose de fait le point de vue critique que possèdent et revendiquent certaines oeuvres artistiques. 

Il y a lieu de se réjouir. La démocratisation de l'espace muséographique est susceptible d'ouvrir un discours critique plus complexe, un métatexte au référentiel cultivé dépassant les seules têtes de gondoles de l'histoire de l'art. Le pastiche est en voie de s'épicer.

Et c'est bien là le coeur du projet artistique de Nadège Dauvergne qui télescope les créatures de Manet, Ingres et autres maîtres de l'art ancien et pré-moderne dans un espace a priori faiblement artistique : la VAD (vente à distance).

Arguons que la publicité est une isotopie résurgente de l'art moderne dont la sémantique n'est pas la même selon que ce soit l'artiste qui considère le milieu de la publicité ou que ce soit le publicitaire qui détourne une oeuvre infiniment reconnaissable à des fins marketing. 

Néanmoins l'oeuvre des artistes majeurs du POP ART (Lichtenstein, Warhol en premier lieu), et dans une certaine mesure le propos même de ce mouvement, a donné lieu à la production d'un nombre tel de produits dérivés, que la finalité du Pop Art peut sembler rejoindre l'usage de l'art dans la publicité dont on ne compte plus les occurrences.

L'oeuvre de Nadège Dauvergne constitue donc une voie médiane intelligente entre ces deux approches. Oeuvre de réflexion ludique autant qu'inventive sur la publicité, et particulièrement - avec son dernier corpus - sur la promotion et VAD, l'artiste, qui s'inscrit dans une démarche allant de la parodie et la satire accentue l'usage commercial (en utilisant un matériau promotionnel, en accolant le calque artistique à l'indication proéminente des prix) afin de grossir le décalage entre l'idéal artistique et sa récupération sociétale. 

Cet appariement décoratif, visuellement plaisant, demeure un artefact. Cet art du décalage est d'autant plus patent que c'est à l'art ancien et non l'art moderne ou contemporain que revient la charge du contrepoint.

Reprenant la technique du collage aux artistes surréalistes sans toutefois renoncer à la réalité pour elle-même - ce qui n'exclut pas le geste créatif du dessin au Posca faisant suite au collage conceptuel - l'artiste Nadège Dauvergne peut ainsi emprunter des figures dénudées à un artiste éminent de l'art (pas si) académique : Jean-Auguste-Dominique Ingres.

 

Bain turc

Nus élégants, esthétique singulièrement  aboutie, fruits d'une conjoncture historique et d'un artiste génial jouant avec l'anatomie de ses sujets, ces nymphes issues d'un autre siècle et système artistique interroge le consumérisme multiplemment : investissant de leur présence languide le décor artificiel d'un catalogue de vente à distance, la dissonance entre ces prix devenus plus importants qu'un sujet animé s'impose au spectateur. Ces nymphes formulent aussi la mise en scène de l'instrumentalisation de la féminité, la réification des femmes qui tend à se réduire mais survit néanmoins comme un stigmate régressif à l'obsolescence tenace.

A l'instar de l'Arte Povera, Nadège Dauvergne se sert d'un matériau à priori pauvre, - il ne s'agit ici ni de chiffons ou ordures mais bien de récupérer ce qui est arrivé à péremption, des flyers et autres catalogues promos périmés -, pour porter un regard sur la société et ses liens de dépendance à la consommation. Un regard où se lit une dérision constructive. 

Le cadeau "Olympia" transforme le propos initial de Manet - lui-même glose du Titien - doublement scandaleux par la surimposition contrastante entre la figure d'une prostituée blanche nue servie par son esclave noire. Pourtant, la portée est évidente. L'ex-hétaïre Olympia est "le cadeau" car la femme, support d'une communication en robe légère ou "topless", demeure une marchandise, vecteur efficace de la vente d'autres marchandises : les produits au coeur des catalogues recyclés par l'artiste.

 

Ève

Ce faisant, artiste-alchimiste-sociologue, Nadège Dauvergne transmute l'éphémère consumériste en oeuvre artistique, la mort programmée en débat de société, la laideur consternante des prix bradés en système esthétique ouvert à l'universalité des formes et des chronicités : l'art ancien dialoguant avec des fac-similés d'oeuvres de designers, elles-mêmes productions de masse rendant diffusable l'objet d'art, premier et indivisible…

Née en 1973 au Burkina Faso, Nadège Dauvergne excelle dans le médium du dessin - qu'elle enseigne - conjoint à la technique conceptuelle du collage.

Son oeuvre remarquée au Salon 2012 de Montrouge a particulièrement retenu notre attention.

Accélérant sa réceptivité, l'héritage publicitaire de l'une des co-fondatrices de notre galerie, ancienne Directrice de création dans des agences de publicité et communication, nous permis de mesurer la pertinence de son regard qui ne dénature pas ce qu'elle dénonce avec une causticité amusée.

En somme, le projet artistique de Nadège Dauvergne, qui a elle-même exercé dans le milieu publicitaire, rejoint par les réflexions qu'elle instaure et perpétue le postulat premier de la galerie WE ART TOGETHER : appréhender la dynamique artistique dans sa diachronie (culturelle, historique…), son raffinement, sa densité et l'infinie richesse des interactions qu'elle suscite. Décloisonner le temps et l'espace. Supprimer les cloisons étanches qui enferment aujourd'hui la création contemporaine en dépit des hybridations technologiques. Percevoir une oeuvre d'art comme l'exacte médiation entre le relativisme complexe de Levi-Strauss et l'autocratie des chefs-d'oeuvre véhiculée (non sans nuances) par Malraux.
  Une oeuvre artistique, pour se revendiquer de l'Art, est à la fois une et plurielle. Carrefour artistique, synthèse singulière valable en soi, regard sur le Temps et point d'appui pour de nouveaux artistes, point de départ de nouvelles expériences artistiques autant qu'interprétatives.


Texte © Elise Walter – Galerie d’art  WE ART TOGETHER
Le 5 octobre 2012

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Les coussins de Miss O'Murphy

Nadège Dauvergne

 Le collage, qui est né vers 1912 des recherches de Georges Braque et de Pablo Picasso, est sûrement l’apport le plus important dans l’art moderne.

De nos jours encore, il reste ce vocabulaire vif qui a vu son domaine s’étendre vers la littérature, le son, le cinéma, la vidéo. La force du collage réside dans la brutale juxtaposition de deux ou plusieurs éléments étrangers – et plus grande est la distance entre ces éléments, plus intéressante devient leur confrontation.
Les œuvres de Nadège Dauvergne procèdent de cet esprit de mettre en présence deux mondes différents : celui de la vie quotidienne et celui de la culture. Mais, il est à remarquer que Nadège Dauvergne ne juxtapose pas deux images mais se sert de l’une comme support à l’autre – le collage devient infiltration.
Les catalogues de vente des grandes enseignes commerciales, les pages publicitaires des magazines exaltent les joies et les bienfaits du confort domestique. Dans ce décor idyllique, l’art qui est par essence d’une nature différente et même opposée, y fait soudain irruption.
  Le choc est celui du « high and low » résumé sur une page de magazine. Il est d’autant plus surprenant que nous connaissons bien le canapé « x »  ou le fauteuil « y » et que dans ces meubles familiers vient précisément s’asseoir « Olympia » qui nous rend visite ce soir !
Les œuvres de Nadège Dauvergne sont certes des critiques de la consommation qui vont immanquablement agir sur nous. Mais étant d’irréductibles consommateurs, nous acceptons cette leçon et y ajoutons un vrai plaisir à contempler une œuvre artistique remarquable par sa nouveauté et son charme.

Jean Brolly le 2 mars 2012


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L'expression graphique de Nadège Dauvergne, jeune artiste de l'Oise

  Nadège Dauvergne a cette facilité déconcertante de faire sienne toute technique graphique. Qu'il s'agisse d'un motif croqué au fusain ou plus abouti à la mine de plomb, d'un sujet émergeant du mélange encre/fusain ou résultant de la succession de traits de brosse trempée dans l'encre de Chine, chaque image que Nadège Dauvergne nous donne à voir ne contient que ce qui est essentiel et nous émeut par sa simplicité.
  Nadège Dauvergne n'invente rien. Elle se complait à esquisser un paysage, à construire un portrait, à composer une nature morte réduite à quelques éléments. Elle oublie tout de la hiérarchie des genres si chère aux Anciens et n'envisage aucune abstraction à la manière des Modernes. Ses propos sortent même des sentiers battus de l'art contemporain dont la plastique, avoue-t-elle, "ressemble plus à une escroquerie intellectuelle".
   Nadège Dauvergne reste donc indéfinissable et ses oeuvres graphiques - et picturales -inclassables. Pourtant, ces dernières, par leur traitement comme dans leur rendu, peuvent évoquer des grands noms de l'histoire de l'art occidental ou convoquer le savoir-faire des maîtres japonais de l'estampe ou de la peinture sumi-e. Bien que nourrie du legs de ses prédécesseurs, sa pratique consiste avant tout à "faire des images" accessibles à tous et à proposer "une autre manière de se positionner face au système Art trop élitiste". Académique, symboliste, expressionniste... Nadège Dauvergne revisite à sa manière tous les styles, toutes les écoles pour proposer quelque chose d'ordinaire. Calligraphique, onirique, magique... les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le dessin de l'arbre esseulé sur le plateau ; délicate, subtile et sensuelle, la fleur qui respire sur la pleine page ; surranné mais ô combien magistral son dernier Autoportrait au fusain... L'expression graphique de Nadège Dauvergne demeure indéniablement et profondément singulière.


Michaël Grabarczyk  le 14 décembre 2008.

 

 

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